« Autant pour moi » ou « au temps pour moi »

« Autant pour moi » ou « au temps pour moi »

Doit-on écrire « autant pour moi » ou « au temps pour moi » ? Intuitivement, l’expression « autant pour moi » paraît à beaucoup plus juste, car que viendrait faire le temps dans cette histoire ? Et pourtant, la bonne orthographe est bien « au temps pour moi ». Il n’existe pas, comme souvent dans la langue française, d’ambiguïté à ce sujet, car « au temps pour moi » s’explique par son histoire, rendant ainsi l’orthographe « autant pour moi » fautive. Il demeure cependant des contestataires, mais ils sont déniés par le dictionnaire de l’Académie française qui n’accepte qu’une seule orthographe correcte : « au temps pour moi ».

 « Au temps pour moi » une expression averbale comme il en existe tant

« Au temps pour moi » est une phrase averbale, ce qui signifie qu’elle ne contient aucun verbe, le « a » étant privatif. Elle présente ainsi l’avantage de ne pas devenir un casse-tête de conjugaison et de nous éviter les fautes de grammaire !

La phrase averbale est utilisée à l’oral comme à l’écrit, le plus souvent pour signifier une exclamation ou une interrogation. En voici quelques exemples.

  • Bonnes vacances !
  • Attention à la marche !
  • Silence !
  • Quelle histoire !

Pour chacune de ces phrases averbales, on peut aisément devenir le verbe manquant.

  • Passez de bonnes vacances !
  • Faites attention à la marche !
  • Faites silence !
  • Quelle histoire vous nous contez là !

Au temps pour moi marche militaire

L’origine militaire de l’expression « au temps pour moi »

Revenons à notre interrogation concernant l’orthographe « autant pour moi » ou « au temps pour moi ». Les militaires raffolent des expressions averbales. Elles ont le mérite d’être brèves et claires à la fois, ce qui s’avère pratique pour donner des ordres, comme « repos ! », « en joue… feu ! », « en avant, marche ! » et donc « au temps pour moi ».

L’injonction « au temps ! » est utilisée dans le cadre d’exercices de gymnastique ou de danse, mais aussi dans le contexte militaire. Le temps dont nous parlons ici correspond à un instant défini où il faut exécuter un mouvement précis. Ces temps sont généralement séparés par des pauses. Cet ordre se traduit par exemple dans l’expression « une charge en quatre temps ». Il est aussi à l’origine de l’expression courante « en deux temps, trois mouvements ».

Lorsqu’une personne ne respecte pas ce temps, l’injonction « au temps ! » lui commande de reprendre le mouvement à un instant défini. Il peut s’agir de redémarrer au premier temps ou de reprendre l’exercice après l’une des pauses.

Le verbe volontairement omis est donc dans ce cas « reprendre ». « Au temps pour moi ! » signifie donc « reprenez le mouvement au temps ».

La transformation de « au temps » en « au temps pour moi »

Comment passe-t-on de l’expression « au temps » à « au temps pour moi » ? C’est très simple !

L’expression « au temps pour moi » est utilisée pour reconnaître son erreur. Dès lors, vous vous donnez vous-même l’ordre de reconsidérer – c’est-à-dire reprendre – votre raisonnement depuis le début, d’où l’ajout du « pour moi ».

Une phrase averbale peut se suffire à elle-même et ne pas attendre de complément, comme dans « Bonnes vacances ! ». Au contraire, dans la plupart des cas, « au temps pour moi » est suivi par la correction de l’erreur. « Je pensais que Napoléon était né à Bastia ; au temps pour moi, il est né à Ajaccio. »

Dans le jargon militaire, l’expression s’adresse aussi – avec quelque ironie sans doute – aux crosses des armes. En effet, lorsqu’un exercice de maniement consiste à déposer les armes à terre – donc leurs crosses – un seul bruit doit se faire entendre. Si les militaires n’agissent pas de concert, alors, l’ordre « au temps pour les crosses ! » leur intimera de recommencer l’exercice.

L’expression italienne équivalente « al tempo ! » apporte la preuve qu’il est bien question de « temps ».

On retrouve cette expression dans les chroniques militaires de Georges Courteline de 1888, Le train de 8 h 47. Il y décrit avec cocasserie l’absurdité et la routine assommante de la vie de caserne.

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« – Portez… arme ! Un temps, trois mouvements !… un ! […] Et la paume de la main droite soutenant la crosse du fusil, la main gauche encerclant le canon, ils demeuraient cinq minutes immobiles, au temps, gardant la position, la nuque cuite sous le soleil. »

« Recommencez-moi ce mouvement-là en le décomposant. Au temps ! Au temps ! Je vous dis que ce n’est pas ça ! »

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La version de l’expression « autant pour moi », vue par les contestataires

Bien que l’origine de « au temps pour moi » semble incontestable, il se trouve bien sûr des partisans de l’expression « autant pour moi » pour désavouer cette orthographe. Deux personnages célèbres en outre s’érigent contre la version militaire et préfèrent l’orthographe « autant pour moi », Maurice Grevisse et Claude Duneton.

Maurice Grevisse, le Belge francophone le plus réputé pour la maîtrise de la langue française

Maurice Grevisse (1895-1980) est un grammairien belge francophone notamment connu (et reconnu) pour son ouvrage de grammaire sans cesse tenue à jour, Le Bon Usage, une référence de la plus haute qualité.

Dans la dixième édition de cet ouvrage, en 1975, il remet en cause la graphie « au temps » et prétend que l’orthographe « autant pour moi » lui est antérieure.

Claude Duneton, historien du langage

Claude Duneton (1935-2012) est un écrivain, romancier et traducteur français, historien du langage, chroniqueur au Figaro Littéraire et comédien. Il milita toute sa vie durant pour une langue française puisant sa source dans le peuple, ainsi qu’en faveur des langues régionales, notamment l’occitan. Il était né à Lagleygeolle, dans le département de la Corrèze, en région Nouvelle-Aquitaine, ceci expliquant peut-être cela.

Claude Duneton remet en cause l’étymologie de l’expression et affirme que l’expression « au temps » dans son sens propre n’est pas utilisée par les militaires. Il assure qu’il faut comprendre le sens comme « Je ne suis pas meilleur qu’un autre, j’ai autant d’erreurs que vous à mon service : autant pour moi ».

Pour appuyer sa théorie, l’historien la compare à l’expression idiomatique anglaise « so much for » qu’il considère avoir un sens « presque analogue ». La traduction littérale de « so much for » évoque bien « autant » et n’a rien à voir avec « au temps ».

Enfin, il puise dans le dictionnaire des Curiositez françoises de 1640 son ultime argument. Il y relève la phrase « autant pour le brodeur » décrite comme « raillerie pour ne pas approuver ce que l’on dit ».

Au temps pour moi métronomeL’Académie française, le juge de paix pour départager autant pour moi/au temps pour moi

L’Académie française demeure le juge de paix pour décider de la seule graphie autorisée. Or, les immortels qui la composent sont formels : « L’origine de cette expression n’étant plus comprise, la graphie “autant pour moi” est courante aujourd’hui, mais rien ne la justifie ».

L’Académie française reconnaît qu’il s’avère impossible de savoir précisément quand et comment est apparue l’expression, mais elle confirme néanmoins son origine militaire et son utilisation pour commander la reprise d’un mouvement depuis le début.

De ce sens de « c’est à reprendre », elle aurait ensuite glissé vers l’emploi figuré. « Au temps pour moi » permet ainsi d’admettre son erreur et de concéder que l’on va reprendre depuis leur début.

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Il convient donc de s’en tenir à l’injonction de l’Académie française et de bannir l’expression « autant pour moi » au profit de « au temps pour moi ».

Malgré ou malgré que ?

Malgré ou malgré que ?

Faut-il dire malgré ou malgré que ? On entend tout et son contraire à ce sujet. Le verdict est pourtant sans appel : les deux expressions sont correctes selon l’Académie Française.

Cependant, dans l’immense majorité des cas, malgré est la formule à utiliser.

 

Malgré définition

Malgré est une préposition invariable datant du XIIIe siècle, composée de l’adjectif mal et du substantif masculin gré.

1.      Malgré dans le sens contre le gré

 

Elle a décidé de partir vivre en Islande, malgré la volonté de ses parents.

 

2.      Malgré dans le sens en dépit de ou nonobstant

 

Malgré la pluie, il est parti en randonnée.

Je persiste à lui accorder ma confiance malgré tout.

 

L’orthographe de malgré

Malgré étant invariable, il ne s’accorde jamais en nombre ou en genre. Il ne prend donc jamais de S, E ou ES comme terminaison.

Cela vaut pour l’expression « les malgré-nous » qui désigne les Alsaciens et les Mosellans qui furent incorporés de force dans l’armée régulière allemande, durant la deuxième guerre mondiale.

Les malgré-nous se sont retrouvés à combattre dans l’armée de terre (Heer), l’armée de l’air (Luftwaffe), la marine (Kriegsmarine) ou la branche armée des SS (Waffen-SS). Ils furent forcés de prendre les armes contre les ennemis de l’Allemagne, y compris les Français bien sûr.

Les malgré-elles – les Alsaciennes et les Mosellanes – étaient pour leur part incorporées de force dans l’armée, mais aussi dans les usines, ou bien là où les Allemands avaient besoin de main d’œuvre.

Alors, malgré ou malgré que ?

Comme le montrent les exemples ci-dessus, point de que !

Et pourtant ! Malgré que s’utilise dans une langue soutenue, le plus souvent écrite et non parlée. Il s’agit dans ce cas d’une locution conjonctive utilisée avec le verbe avoir conjugué au subjonctif.

Elle signifie : quelque mauvais gré que j’en aie, si mauvais gré que j’en aie, contre mon gré, mon désir ou ma volonté.

 

Il ne put cacher sa déception, malgré qu’il en eût.

 

Cette formulation paraît quelque peu bancale, et pourtant, elle est correcte. Cependant, comme le conseille l’Académie Française, il est recommandé d’éviter d’utiliser malgré que dans le sens quoique ou bien que.

 

Utilisez toujours malgré, quoique et bien que, vous êtes sûr de ne pas vous tromper.

 

Notez que quoique s’écrit en un seul mot. Je reviendrai plus tard sur la différence entre quoique et quoi que en deux mots.

Être « près de » ou « prêt à » ?

Être « près de » ou « prêt à » ?

Être « près de » ou « prêt à »

Il est fondamental de différencier l’utilisation de « près de » et « prêt à », car la signification n’est pas la même et mélanger les deux constitue une faute de français.

Si vous êtes « prête » ou « prêt », cela signifie que vous êtes préparé et disposé à faire quelque chose. Cet adjectif s’accorde au masculin, féminin, singulier et pluriel. Il doit impérativement être suivi de la préposition « à ».

Par exemple : « Je suis prête à travailler beaucoup pour obtenir mon diplôme ».

Si vous êtes « près de », cela signifie que vous êtes sur le point de passer à l’acte ou que vous êtes proche de quelque chose. « Près » est une préposition invariable qui est toujours suivie par « de ».

Par exemple : « Je suis près d’obtenir mon diplôme, il ne me reste plus qu’une matière à valider ».

Il ne faut jamais dire ou écrire : « Je suis prête d’obtenir mon diplôme », car cela n’a aucun sens aujourd’hui. En effet, comme nous le précise l’Académie Française, avant la fin du XVIIIe siècle, l’adjectif « prêt » pouvait se construire avec la préposition « de ».

L’académie cite des exemples, et non des moindres, avec Chateaubriand ou La Fontaine. Mais, elle est formelle : désormais ces formules sont considérées comme incorrectes.

Je citerai comme moyen mnémotechnique une phrase en hommage à mon père qui racontait son expérience d’écolier chez les Jésuites dans les années 30. L’un de ses professeurs avait pour habitude de les rappeler à l’ordre lorsque le cours approchait de la fin, alors que certains avaient déjà discrètement bouclé leur cartable :

« Vous êtes prêts à partir, mais vous n’êtes pas près de partir ! ».